La journée d’étude du 24 janvier 2017, organisée conjointement par la BPI et l’ABF, s’est révélée passionnante à bien des égards : la thématique, le programme, l’ambiance… tout a concouru à ce que ce moment alimente la réflexion des professionnels présents, et ce, bien après la fermeture des portes de la salle Triangle du Centre Pompidou.
Des podcasts de la journée seront mis en ligne sur le site : http://pro.bpi.fr/metier/debats-journees-detude
Voici un compte-rendu, rédigé grâce aux notes détaillées et fort précieuses de Julienne Debarge (Médiathèques de Massy) et Nathalie Grelu (Médiathèques de Meudon), des différentes présentations qui ont rythmé cette journée animée par Véronique Soulé (bibliothécaire) :
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Par Christine Carrier, directrice de la Bibliothèque Publique d'Information, et Hélène Beunon, vice-présidente du groupe IDF de l'ABF.
Cette journée d’étude fait suite à celle qui avait été organisée après les événements de janvier 2015 "Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?". L’objectif est de s’interroger sur le rôle social des bibliothèques, son histoire, son actualité et sa pertinence aujourd’hui. Comment faire la part des ses fonctions sociale et culturelle ? Quels partenariats construire ? Comment intégrer cette dimension dans un projet d’établissement ? Quel est le rôle des élus ?
Introduction
Par Fabrice Chambon, directeur des bibliothèques de Montreuil.
Fabrice Chambon a porté un regard réflexif sur la dimension sociale des bibliothèques : de l’émergence des bibliothèques populaires et associatives aux débats ABF des années 50/60 en passant par la transformation des bibliothèques associatives en BM.
La volonté d’offrir un accès au savoir à tous implique très tôt le prêt à domicile et une amplitude horaire adaptée (ouverture le soir et le dimanche matin).
Dans les années 50/60, la section de lecture publique de l’ABF s’engage en prônant l’ouverture au plus grand nombre et les collections en accès libre. Les bibliothèques évoluent de la conservation à la médiation éducative et s’imposent comme des vecteurs importants de l’éducation populaire. Les bibliothécaires d’aujourd’hui sont les héritiers de ces changements.
Ils sont face à des défis qui les obligent à réinterroger la place et le rôle des bibliothèques : érosion du nombre d’inscriptions et de prêts mais hausse de la fréquentation ; multiplication des accès au savoir mais augmentation des inégalités sociales et culturelles ; crise institutionnelle et diminution de la participation aux élections…
Pour lutter contre les inégalités, il faut les analyser, se construire une solide culture sociologique et aller au-delà de nos simples observations de terrain.
Il est essentiel de parvenir à un point d’équilibre entre prescription et « réponse à la demande », tant au niveau des collections que dans le champ de l’action culturelle. Cela permettra de prévenir la violence symbolique d’une offre inadaptée car en décalage avec les attentes des publics. Il convient également de construire des partenariats solides avec les acteurs éducatifs et sociaux du territoire pour, simultanément, rendre légitimes les publics éloignés et la bibliothèque.
Cela implique nécessairement des moyens humains et matériels, et il est indispensable d’inscrire son action dans des plans pluriannuels. En effet, certaines initiatives ne rencontrent pas immédiatement le succès. De plus, construire des rapports de confiance avec le public et les partenaires demande du temps et de la patience.
En conclusion : on ne part pas de rien, de nombreuses initiatives existent, il faut savoir copier et enrichir les actions pertinentes. Il faut se montrer serein dans notre démarche de cohésion sociale face aux accusations de militantisme et de manque de neutralité. Les bibliothèques engagées dans cette démarche sont légitimes car elles ne font qu’appliquer la devise de la république : Liberté, Egalité, Fraternité.
Mesurer, évaluer, impulser
Par Nolwenn Bouric, chargée de mission Etudes, et Cécile Avallone, directrice de la BDVO
Les intervenantes nous ont présenté le volet social de l’étude d’impact "La bibliothèque vaut-elle le coût?" pilotée par la BDP du Val d’Oise.
Cette étude, qui s’inspire de l’enquête réalisée en 2014 en Espagne, a pour objectif de fournir des outils d’aide à la décision aux élus locaux. Il s’agit de montrer la bibliothèque sous d’autres angles que ceux traditionnellement utilisés pour décrire son activité, et ce dans un contexte budgétaire difficile. Il s'agit également de s'interroger sur les facteurs de réussite suite à la fréquentation d’une médiathèque. Le Val d’Oise compte 1 million d’habitants pour 130 bibliothèques.
L'enquête : 13 médiathèques ont été sélectionnées pour cette étude. Un échantillon représentatif qui correspond à 10% des médiathèques.
5 critères de sélection des médiathèques : nombre d’habitants, rattachement administratif, localisation dans les quartiers prioritaires.
Les sources de l’enquête : les données du ministère de la culture ; un questionnaire destiné aux bibliothécaires ; des entretiens avec les bibliothécaires ; des entretiens avec les élus (seulement 2) ; des questionnaires aux usagers non présélectionnés (818 réponses papier ou en ligne). Les questionnaires destinés aux usagers sont inspirés des questionnaires du sociologue François de Singly et du questionnaire SF36 de la Haute Autorité de santé.
Les réponses :
- Les bibliothèques occupent une place dans l’écosystème local : emploi du personnel sur le territoire du département, dépenses sur le chemin de la bibliothèque, commandes à des fournisseurs locaux
- 48% des usagers viennent accompagnés
- 21% ont fait des rencontres
- 50% constatent un changement dans leur rapport à leur entourage
- 75% ressentent une influence positive sur leur état d’esprit
- 28% ressentent un impact sur leur manière de gérer leur santé
Et maintenant ? Le résultat de l’enquête va être diffusé aux élus du Val d'Oise. Une étude nationale menée par le ministère, l’ABF et la BPI va être lancée prochainement.
La bibliothèque comme levier d’action des politiques du territoire
Par David Constans-Martigny, conseiller en charge de la Commission Culture de France Urbaine
France Urbaine est une association d’élus de métropoles, agglomérations et grandes villes qui a mené, en 2016, une enquête sur la bibliothèque comme outil des politiques publiques locales.
Cette association rassemble des villes ou agglomérations de plus de 100 000 habitants, soit 99 membres dont 46 villes.
L’enquête de 2016 : 11 villes ont répondu, soit un panel assez représentatif (Toulouse, Tours, Lille, Cannes, Metz, Dunkerque, Orléans, Bordeaux, Nantes, Clermont-Ferrand, Roubaix). L’enquête a été envoyée aux maires, transmise aux adjoints à la culture puis aux DAC et enfin aux directions des bibliothèques (qui ont rempli le questionnaire).
- La bibliothèque est un outil parmi d’autres et dépasse la question de la lecture publique : politique de la ville, enfance, personnes âgées, développement local (partenariats avec des libraires locaux…)
- La bibliothèque est un lieu de construction du commun (comme l’école) : dans les quartiers prioritaires, à travers l’accompagnement de l’action sociale, son implication dans l’alphabétisation, la nutrition, la santé. La bibliothèque doit être intégrée dans les plans de rénovation urbaine
- La bibliothèque est un lieu de participation des usagers
-
La bibliothèque est impliquée dans l’action culturelle multipartenariale et hors les murs
- Les bibliothécaires sont de véritables partenaires des élus
L’enquête a été réalisée à la demande d’élus et une réflexion est en cours sur la rédaction d’un manifeste (assorti d’un argumentaire) adressé au prochain gouvernement.
Un projet de service pour faire société : l’exemple de la médiathèque Pierresvives (Hérault)
Par Agnès Defrance, chef de service Médiathèques Pierresvives et médiation.
Pierresvives (Montpellier) est la réunion des archives départementales et de la BDP de l’Hérault. Cette médiathèque de 1000 m², inaugurée en 2012, est ouverte 6 jours sur 7 au public. C’est une médiathèque de consultation qui, dès l’origine, a été pensée en complémentarité avec les bibliothèques de quartier.
Le service Médiathèque Pierresvives et Médiation comporte une unité médiathèque avec 16 agents et une unité médiation de 6 agents, avec intégration de collègues issus d’autres filières (animation, social et secteur associatif). Ces 2 unités ont été créées à la suite d’une réorganisation en 2014, dans le même temps un projet de service a été élaboré. Un questionnaire a été envoyé à chaque agent et à chaque “secteur”/“entité de travail”. Les axes étaient l’animation, le public adulte, l’accueil de groupe, les publics spécifiques et les partenariats.
L’offre de service s’est déclinée en 6 axes :
1. dispositif de médiations à destination des publics prioritaires (alphabétisation, initiation numérique…)
2. des ateliers, des événements (ex: les blogueurs de Pierresvives)
3. des projets fédérateurs multiculturels et multi générationnels
4. une programmation avec des axes forts : parentalité, liberté d’expression, prévention…
5. développement des partenariats (institutionnels - PJJ CHU, et associations)
6. accompagnements réguliers : accompagnement administratif, CV…
Les collections sont pensées et constituées en lien avec la politique d’accueil. Livres, presse, numérique, jeux de société… sont autant d’outils pour aller à la rencontre des publics.
La thématique de la liberté d’expression donne lieu à de nombreuses actions : journée de la censure, invitations de dessinateurs de presse.
Concernant l’évaluation de la politique menée, Agnès Defrance a expliqué qu’elle ne pouvait évidemment pas s'appuyer sur des statistiques de prêt/retour (documents uniquement en consultation sur place). L'évaluation se fait sur les publics touchés, l'utilisation des collections et la connaissance des usages du public (via des discussions informelles ou des enquêtes par questionnaires).
Pierresvives s’est fixé un triple objectif et l’équipe est recrutée sur ce projet :
- Développer les compétences et les savoir-faire des habitants
- Favoriser la création (et le développement) de partenariats
- Encourager l’inclusion participante des usagers.
Une attention particulière est portée sur le public adolescent (exemple : les blogueurs de Pierresvives), catégorie considérée comme plus fragile et déstabilisée par les soubresauts de notre société.
Albums pour enfants : acquisition et médiation au regard du public de la bibliothèque
Par Stéphane Bonnéry et Florence Eloy, Paris 8 ; Maira Mamede, ESPE-UPEC ; Véronique Soulé, bibliothécaire
Les chercheurs ont mené une enquête dans les sections jeunesse de 3 bibliothèques franciliennes (Chevilly-Larue, Gennevilliers et une bibliothèque de la Communauté d'agglomération d’Est ensemble). Ces bibliothèques sont très fréquentées, disposent de moyens financiers satisfaisants, abritent des équipes dynamiques et accueillent des populations différentes. En ceci, elles constituent un échantillon intéressant pour une étude.
L’équipe de recherche a voulu étudier les logiques d’adaptation, de formation au public et d’emprunts en bibliothèque chez les 4-7 ans.
Les conclusions de l’enquête :
Distinction entre 2 types d’albums :
- Albums explicites type Max et Lili, Tchoupi, Trotro, Petit ours brun, Babar, Le loup et les 7 chevreaux du Père Castor : l’oralisation suffit. Ce sont les livres que les familles populaires ont éventuellement chez elles.
- Albums implicites : la signification de l’ouvrage doit être produite par les adultes. Exemples : la série des loups de Geoffroy de Pennart, les albums d’Anthony Browne, La famille Souris d’Iwamura remplie de détails au niveau graphique… Les familles “++” (capital culturel plus élevé) possèdent ces albums.
C’est également une problématique liée à l’école : les enseignants fonctionnent comme si tous les enfants avaient accès aux albums implicites.
Politiques d’acquisition
On retrouve la traditionnelle tension entre s’adapter aux publics et former les goûts. Il est admis dans les bibliothèques que le public doit trouver dans les collections ce qu’il connaît déjà (ouvrages marchepieds, produits d’appel vers des ouvrages de qualité).
Médiation
Les bibliothèques privilégient les albums implicites : on ne lit pas Tchoupi en heure du conte. Concernant les conseils de lecture, les livres tremplins ne sont jamais conseillés et quand un parent demande un titre particulier (« Petit ours brun à table » par exemple), les bibliothécaires donnent le livre mais orientent aussitôt vers un album implicite sans préciser pourquoi cet ouvrage-là est intéressant (le bibliothécaire ne donne pas la clé de lecture). Même logique pour les tables ou étagères « coups de cœur » : on ne sait pas pourquoi ces livres sont de qualité.
Manières de lire
Quand les bibliothécaires lisent un album, elles/ils ne souhaitent pas imposer leur interprétation. Ainsi, elles/ils donnent peu de clés de lecture aux enfants (notamment aux enfants n’ayant pas accès chez eux à ces albums implicites). Les familles ++ le font : elles ne se contentent pas d’oraliser le texte, elles donnent à petite dose des éléments de réflexion (ex : le personnage dit qu’il n’a pas peur du tout mais on voit ses fesses trembler : élément signalé par le parent). Il faut former le lecteur, le guider vers les significations cachées du livre, le guider vers un questionnement afin de le laisser façonner sa propre interprétation.
Autre observation : les bibliothécaires laissent aux enfants assez de temps pour regarder les images mais trop peu de temps pour la reformulation.
La bibliothèque doit permettre à tous les enfants de construire des postures de lecteur, elle contribuera ainsi à la réduction des inégalités culturelles. Cela passe par ces médiations qui accompagnent l’enfant et l’aident à décoder ces albums implicites.
Emploi et vie professionnelle à la BPI : naissance d’un partenariat
Par Marie Payet, bibliothécaire chargée des collections et médiations emploi, Bpi, et Sylvie Sesma, chargée de coordination à la Cité des métiers Paris - La Villette.
Le contexte
BPI : une fréquentation importante de l’espace emploi (2000 documents) et des demandes récurrentes d’accompagnement de la part des étudiants, des demandeurs d’emploi, des usagers en reconversion ou en formation continue en attente de médiations et de services. Il existait jusqu’alors des ateliers sur la rédaction de lettre de motivation et de CV ou bien encore sur la recherche d’emploi sur Internet.
Cité des Métiers (CDM) : c’est un réseau national et international née en 1993, un lieu d’information, d’orientation et de conseil autour de la vie professionnelle. La CDM est organisée autour de 5 pôles : changer sa vie professionnelle / créer son activité / organiser son parcours professionnel / trouver un emploi / choisir son orientation. Elle propose des ateliers et de la documentation. La CDM n’a pas de structure juridique, c’est une union libre entre différents partenaires (institutionnels comme Pôle emploi, le CIO, le CNAM, le CNED, les Missions locales, l’AFPA ; associatifs comme : Moi dans 10 ans, la Tortue bleue, Activ’action, les CREPI). Les partenariats sont de différentes natures : hors-les-murs / soutien financier / documentation / occasionnel.
La BPI devient un centre associé
En juillet 2016, un protocole d’accord et une charte commune sont signés avec la CDM : la BPI devient un partenaire hors-les-murs. Pourquoi la BPI ? Parce que c’est un lieu neutre, moins stigmatisant que d’autres établissements, avec un brassage important des publics et beaucoup de ressources documentaires.
A la CDM, l’accueil est libre et gratuit, tout comme les ateliers, et les usagers bénéficient d’une expertise avérée en matière d’emploi. Pas de prise de rendez-vous.
La charte commune oblige les structures à :
- Accueillir de manière gratuite, anonyme et sans RDV
- Se centrer sur le besoin de la personne
- Favoriser l’écoute par un espace accueillant et valorisant
- S’adresser à tous les types de publics
- S’adapter aux publics du territoire
Partage de pratiques professionnelles :
11 journées de sensibilisation ont été organisées par la CDM pour former 45 bibliothécaires de la BPI.
4 matinées de visite et présentation des ressources de la BPI pour 45 conseillers et partenaires de la CDM.
Résultat : un fort enthousiasme de la part des équipes. Ces formations ont suscité de nombreuses réflexions, notamment sur les postures vis-à-vis du public.
Offre de médiation BPI :
Programmation d’ateliers pour 15 personnes
animés par plusieurs partenaires de la CDM. Les inscriptions sont possibles le jour même de l’atelier.
- Cultiver la confiance en soi par le théâtre pour retrouver un emploi
- Ecrire et partager autour de son projet professionnel
- Portage salarial, une alternative à la création d'entreprise
- Les formes alternatives d’activité
- Comprendre les règles de l’entreprise pour mieux présenter sa candidature
Bilan
- 56 ateliers (9 thèmes) en 2016 ; 8 partenaires ; 1 festival ; 432 pré-inscrits et 147 inscrits sur place ; 551 participants
- Nouvelles thématiques envisagées : se remotiver, simulation d’entretiens, permanence de conseillers pôle emploi….
- La formation des bibliothécaires de la BPI est essentielle, il est nécessaire de bien connaître le monde de l’emploi
- Recherche d’autres bibliothèques partenaires
Bibliothèques et usagers : reconnaissance et lâcher-prise ?
La bibliothèque Garaget
Par Anders Gert Johansson, bibliothèque Garaget
Contexte
C’est une des 12 bibliothèques de quartier du réseau des bibliothèques de Malmö, dans le Sud de la Suède. Malmö est une ancienne cité industrielle en déclin économique après la désindustrialisation des années 1970. Depuis, des efforts massifs ont été entrepris et Malmö est devenue une cité de la connaissance. C’est une ville multiculturelle, à l’atmosphère bienveillante et décontractée, connectée au Danemark et au reste du monde.
La ville compte 320.000 habitants, ⅓ de la population est d’origine immigrée et 150 langues différentes sont parlées sur ce territoire. La population est très jeune, il faut 15 à 20 minutes pour traverser la ville et le centre-ville est l’un des quartiers les plus défavorisés.
Le projet
L’usager a été placé au centre dès la conception de ce lieu dont l’objectif est de favoriser la mixité sociale et culturelle. Très concrètement, les souhaits des habitants ont été recueillis via des campagnes de porte-à-porte, des entretiens dans divers espaces publics, des échanges avec les commerçants et les élus. Au cours de 7 ateliers, chacun s’est exprimé pour savoir que proposer dans cet ancien garage.
3 principaux souhaits ont émergé :
- Un endroit pour se rencontrer
- Un endroit pour créer
- Un endroit pour organiser des manifestations
La décision a alors été prise de créer un lieu qui réunirait un café, un atelier créatif, une scène ouverte et une bibliothèque (demande des élus).
Cet établissement, qui n’a pas de directeur/trice et fonctionne sur un mode participatif, a l’ambition d’accueillir le plus grand nombre, depuis l’enfant jusqu’au doctorant.
Les différents espaces
Il n’y a pas de mobilier neuf, uniquement des meubles de récupération.
- Un café bio (gâteaux maison, sandwichs… vendus à prix coûtant : café à 1€, sandwich à 1,5€). Le personnel vient d'entreprises d’insertion mais l'équipe de la bibliothèque n’hésite pas à mettre la main à la pâte si besoin. Le café et ses prix bas contribuent à l’attractivité du lieu, commander un café est un bon moyen pour établir le contact et interagir. Il y a également un micro-ondes pour que les gens puissent chauffer leur propre nourriture et des couverts sont à disposition. La bibliothèque offre un fruit par jour à chaque enfant. On peut manger à peu près partout.
- Un atelier créatif : tout le monde peut l’utiliser même s’il a été, à l’origine, pensé pour les enfants. On y trouve des perles, de la peinture, du papier, 2 machines à coudre… 2 jours/semaine, des ateliers sont animés par des bénévoles ou des associations. Gratuit et sans inscription.
- Une bibliothèque : 500 m² ; aucune ambition de constituer une collection encyclopédique mais plutôt une collection représentative des usagers ; souhaits des habitants collectés lors des 7 ateliers évoqués plus haut ; 3800 livres aujourd’hui ; 30% sont des suggestions de lecteurs ; transferts possibles entre les bibliothèques du réseau (1 ou 2 jours). Il y a une présentation conviviale des documents, beaucoup de facing. En une heure, on peut faire le tour des collections organisées en petites unités thématiques : santé (fitness, yoga, psycho…) / société (philo, sciences humaines et sociales…)... Les livres sont, pour la plupart, neufs et désherbés au bout de 2 ans. Sélection de titres très populaires et de titres plus obscurs pour piquer la curiosité des gens… Les usagers n’ont pas les mêmes pratiques que les autres usagers des bibliothèques du réseau. Les livres du pôle Société sont autant demandés que les romans et il y a un fort taux de rotation du fonds Poésie. Approche ludique et expérimentale : prêt de vêtements, d’outils… Les usagers ont tous réagi face à ces offres atypiques : ils ont trouvé cela charmant, idiot, agréable, pratique…
- Une scène ouverte : prêt de l’espace aux organisations et personnes privées voulant organiser des manifestations publiques (pas de prosélytisme religieux ou de commerce). Les bibliothécaires insistent sur les valeurs démocratiques portées par l’événement et posent les règles de base : gratuité, inclusion, pas de drogue ou d’alcool. L’usager signe un contrat puis dispose des clés : la personne a accès à la régie et est autonome. La bibliothèque aide à la promotion de l’événement. La qualité n’est pas garantie mais la diversité des événements organisés (yoga, concert, danse, cinéma, café philo…) constitue en soi un indicateur de qualité.
L’évaluation
Une enquête est menée tous les ans auprès des adultes et des enfants afin de définir la stratégie de la bibliothèque : ce qu’ils pensent du café, de l’ambiance, du personnel, du choix de documents ; ce qui peut être amélioré, ce qui ne marche pas.
Conclusion
Le bibliothécaire de Garaget incite à faire confiance aux gens, il faut se préoccuper d’eux, commencer petit et grandir doucement, ne pas trop réfléchir, essayer, s'amuser et provoquer (même en se montrant parfois conservateur).
De Garaget à Paris, la prise en compte des usagers dans nos bibliothèques
Par Nathalie Bœuf et Sophie Roussier, « Le choix des ados »
Mise en place d’une politique d’acquisition participative avec des adolescents volontaires fréquentant la ludothèque/point lecture d’un quartier populaire excentré.
Lors d’un stage d’immersion de deux semaines, en matinées pendant les vacances de février et avril, un groupe d’adolescents dispose d’une enveloppe budgétaire et doit « faire le travail » des bibliothécaires. Sélection des documents, débats et choix sur place en librairie. Constitution d’un fonds destiné aux adolescents.
Résultat : les adolescents volontaires ont développé le goût de la lecture ; les livres sont empruntés par ces ados et les
autres, alors qu'avant il n’y avait pas de documents pour cette tranche d’âge dans le point lecture.
Préfiguration de la bibliothèque Lagny (ouverture prévue en novembre 2017)
Par Sylvie Kha, responsable de la future bibliothèque Lagny (Paris XXème)
Contexte : un quartier enclavé au croisement d’une zone de veille active (“quartier prioritaire en devenir”) et d’un quartier prioritaire de la politique de la ville. Territoire de 36 600 habitants. Beaucoup de jeunes (22% des habitants ont moins de 20 ans). Population par ailleurs vieillissante, installée de longue date. Forte population immigrée. Beaucoup de familles nombreuses et monoparentales. Beaucoup de précarité.
Le projet de construction de la bibliothèque s’intègre dans un grand projet de renouvellement urbain : logements sociaux neufs et anciens, nouveaux équipements (2 crèches, une halte-garderie, un espace Paris Jeunes).
La bibliothèque commence dès aujourd’hui à proposer des projets et est ainsi reconnue comme un acteur du quartier. Inspirés par la médiathèque de Lezoux, les bibliothécaires vont travailler, fin février, sur le plan d’usage avec un groupe ado/adulte. Le but est de mener une réflexion collective sur la manière de fonctionner dans les espaces publics : que voit-on en arrivant ? Qu’est ce qui est permis/pas permis : manger, téléphoner… ? Quels services proposer ?
Les travaux de ce groupe d’usagers seront croisés avec ceux d’un groupe de bibliothécaires. Les deux groupes seront réunis afin de faire part des décisions finales.
Le groupe idéal serait constitué de bibliothécaires, d’associations et d’une majorité d’habitants.
A noter : la belle expression de Sylvie Kha qui élabore une « bibliothèque de sensations » en cheminant à la rencontre des partenaires et des habitants pour, au-delà des indicateurs et des diagnostics, comprendre l’environnement dans lequel la future bibliothèque prendra place et trouvera tout son sens.
Politique d’acquisition participative : chantier d'acquisition BD et Mangas mené avec des collégiens de 5ème et 4ème en partenariat avec une documentaliste. Un petit groupe a élaboré une mini-charte d'acquisition : comment achète-t-on ? Pourquoi ? Doit-on représenter tous les genres ? Les bibliothécaires leur ont présenté des sites de critiques. Un système de vote a été instauré en cas de désaccord. Ils sont allés lire les documents à la bibliothèque Louise Michel pour bien connaître les titres à acheter. Sur plusieurs séances d’avril à juin 2016, ce groupe a travaillé à la sélection, à la constitution des paniers et enfin à l’édition du bon de commande. Tous les documents acquis par les collégiens sont intégrés aux collections et identifiés par un pictogramme. L’objectif est que ces collégiens deviennent des ambassadeurs de la bibliothèque et qu’ils présentent eux-mêmes les fonds qu’ils ont contribué à constituer (intégralité du fonds manga).
Bibliothèque Louise Michel
Ouverte en mars 2011. 500 m2. Plateau décloisonné. 30.000 docs, 6.000 inscrits, 15 bibliothécaires, 25.000 habitants autour de la bibliothèque.
C’est le lieu de vie du quartier, des habitants contribuent à l’entretien du jardin, participent aux ateliers créatifs… Les usagers sont invités à proposer de nouveaux services.
Durant les vacances d’avril 2016 (sur 2 mâtinées), un Biblioremix junior a été organisé pour donner la parole à des enfants usagers réguliers de la bibliothèque :
- Brainstorming pour dégager ce qu’ils aiment ou n’aiment pas à la bibliothèque sous forme de post-it. Les post-it ne sont pas très adaptés : les enfants ont préféré utiliser des tablettes pour prendre en photo ce qu’ils aimaient ou n’aimaient pas.
- Chacun a ensuite proposé un projet. Les projets avec une même thématique ont été regroupés.
- 4 groupes ont alors imaginé : une bibliothèque piscine (les gens se déplacent en barque et pêchent des livres) ; une bibliothèque chat gourmand (les bibliothécaires sont des animaux qui parlent) ; une robothèque (bibliothèque avec des robots) ; mon bibliothécaire est un enfant (2 enfants deviennent pour 6 mois délégués des enfants auprès des bibliothécaires).
Il fallait un projet réalisable : c’est donc le dernier qui a été retenu : rangement, lectures sur le tapis, animation d’ateliers jeux vidéo ou ateliers créatifs par des enfants aide-bibliothécaires.
Conclusion
Par Christophe Evans, chef de service Etudes et recherches à la BPI
Christophe Evans a salué la forte affluence (environ 400 personnes), signe manifeste que la dynamique sociale est au cœur des préoccupations d’un nombre important de bibliothécaires.
Selon lui, donner le pouvoir à l’usager est une ambition qui implique un décentrement, il faut se mettre à la place du/des public(s) et sortir tout le monde (bibliothécaires, usagers, élus…) de sa zone de confort.
La culture de l’expérimentation doit continuer à être valorisée : quand on expérimente, on n’arrive pas forcément à ce que l’on cherchait. C’est, en quelque sorte, la sérendipité appliquée aux actions des bibliothécaires.
A venir :
- enquête en cours sur l’impact des bibliothèques dans les quartiers de politique prioritaire
- enquête d’impact ABF/BPI, 2017 : impacts économiques et sociaux des BM en France : résultats fin 2017-début 2018
- journée d’étude "Actualités de recherches BPI/ENSSIB" au cours de laquelle des élèves conservateurs présentent leurs travaux (le 25/04/2017).
Fabrice Menneteau, le 15/02/2017
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